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Pêche durable

Pêcheurs et chercheurs main dans la main pour préparer l’avenir

Texte de Jacques Le Meur pour l’Espace des sciences/Maison de la Mer – 2010

Sources : Ifremer, Pôle Mer Bretagne, Association du Grand Littoral Atlantique, armement Scapêche, Institut de Recherche pour le Développement.

La définition

Le concept de pêche durable et responsable a pris son essor en 1995 quand la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) a établi son « Code de conduite pour une pêche responsable », qui constitue un guide à l’usage de tous ceux qui ont affaire à la gestion des pêches. Le point principal est la maîtrise de l’effort de capture de manière à préserver la capacité de renouvellement des stocks de poissons et l’optimisation de leur exploitation.

Ce principe sert de base au renforcement de la collaboration entre les scientifiques et les pêcheurs, les premiers mettant leurs investigations à la disposition des seconds et contribuant à la mise au point de solutions. Les chercheurs travaillent en réalisant des campagnes de prélèvements en mer et en analysant les captures des pêcheurs.

Dans la même logique, les chercheurs, les professionnels et les entreprises spécialisés s’unissent pour mettre au point des innovations en faveur de la pêche [et de l’environnement], comme c’est le cas dans le cadre du Pôle Mer Bretagne.

Mesure des mailles d'un chalut - Photo : Jacques Le Meur

Une évolution historique

A la fin des années 70 et dans les années 80, la pêche française a vécu une modernisation accélérée, avec la construction de centaines de bateaux neufs.

Le raisonnement général était quantitatif. Les professionnels attendaient des chercheurs de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) des conseils pour pêcher davantage. Quand ces derniers invitaient à la modération sur telle ou telle espèce, ils n’étaient pas toujours écoutés.

Dans les années 90, le contexte a totalement changé avec la prise de conscience mondiale de la surexploitation qui a débouché sur le code de la FAO. L’ouverture des marchés a exposé les pêcheurs à la concurrence, ce qui a provoqué la crise de 1993 et 1994. Parallèlement, la politique européenne des pêches se mettait en place avec un encadrement croissant des flottilles et des droits de pêche (quotas).

Caseyeur à tourteau "Zubernoa" Scapêche- Photo : Jacques Le Meur

Un dialogue entre scientifiques et professionnels

Les pêcheurs français constataient que les mesures de gestion des pêches paraissaient souvent décalées par rapport à leurs constatations quotidiennes. C’est alors qu’ils ont cherché à dépasser une position défensive pour présenter des contre-mesures. Du coup, la relation avec les scientifiques est passée de la méfiance à la recherche de partenariats. Les organisations professionnelles ont ainsi lancé des programmes qui associaient nécessairement les scientifiques ainsi que des organismes de soutien au développement comme l’Aglia (Association du Grand Littoral Atlantique). Il en est résulté des propositions qui ont souvent été retenues par l’Union européenne, comme des zones de protection de telle espèce, des plans de gestion, des mesures techniques sur les engins de pêche. Cette collaboration présente l’avantage de favoriser un consensus chez les pêcheurs sur la base de propositions crédibles en termes scientifiques.

Ces chaluts permettent d’éviter la capture de merluchons hors taille et de langoustines trop petites. Les dispositifs d’échappement sont placés au meilleur endroit dans le chalut, en fonction du comportement des animaux, pour avoir un maximum d’efficacité.

PMC (panneau à mailles carrées) Photo et schéma : Aglia

Le rendement maximal durable

L’Ifremer est totalement engagé dans la promotion de la pêche durable à travers le concept de rendement maximal durable. Un effort de pêche faible préserve les stocks mais n’est pas viable économiquement. Un effort important peut être rentable à court terme mais grève l’avenir par un trop grand prélèvement. Le point d’équilibre, c’est celui qui apporte un maximum de capture avec un effort de pêche minimal et assure la rentabilité.

Le sommet mondial de Johannesbourg sur le développement durable a fixé à 2015 l’échéance de restauration de ce niveau de rendement.

Schéma : Ifremer

Sélectivité : variable selon les techniques

Le rendement maximal durable peut être atteint par une régulation de l’effort de pêche et par le recours à des engins sélectifs. C’est le cas de certains engins qu’on appelle « dormants » parce qu’ils travaillent de manière passive : c’est la proie qui vient s’y prendre, sous réserve de l’utilisation d’une taille de maille optimale. Ce registre comprend le filet maillant, le casier à crustacés et la palangre (longue ligne à laquelle on a fixé une série de petites lignes qui portent des hameçons garnis d’appât), à l’exception du trémail entre autres.

Le chalut est classé comme « art traînant », c’est à dire qu’il capture les poissons de manière active, en avançant. Les chaluts pélagiques, qui opèrent en pleine eau, sont sélectifs car, en général, ils sont dirigés sur des bancs homogènes. C’est aussi le cas des sennes, pour les mêmes raisons. La sélectivité des chaluts de fond est loin d’être parfaite, mais, suite à des travaux permanents, en partenariat entre scientifiques et professionnels, elle s’améliore.

Chalut à nappe séparatrice - Dessin : IFREMER

Grands fonds : une ressource fragile qui se reconstitue

La notion de « grands fonds » recouvre des secteurs entre 400 et 1500 m de profondeur où l’on pêche des espèces à croissance souvent lente comme le grenadier. Longtemps considérée comme un Eldorado, cette pêcherie semblait s’être épuisée, amenant de nombreux écologistes à demander sa fermeture.

A Lorient, les pêcheurs et les élus politiques refusent cette perspective, avec les arguments suivants : « La pêche profonde est la plus encadrée d’Europe. De 45 bateaux concernés en 1980, il n’en reste plus qu’une dizaine », expliquent les élus. « Elle a été mise sous quotas en 2002 et, depuis, les réglementations contraignantes se sont multipliées. A Lorient, cette pêche fait l’objet d’une pratique responsable depuis près de 10 ans ». L’armement Scapêche constate en 2010 que les rendements sont en hausse, à tel point que les capitaines de pêche doivent retenir leurs efforts pour rester dans leurs quotas. Lorient plaide pour que cette pêcherie soit gérée sur la base d’une co-expertise associant pêcheurs et scientifiques.

Grands fonds : une ressource fragile qui se reconstitue

Légine des Kerguelen : une discipline de fer pour vaincre la piraterie

La légine était pêchée dans les 200 milles de l’archipel de Kerguelen par des bateaux français autorisés et par un nombre indéterminé de pêcheurs « pirates ». La légine est un poisson à chair blanche et grasse qui peut mesurer 2 mètres et vivre jusqu’à 2 000 mètres de profondeur.

L’État a engagé des moyens militaires pour supprimer la pêche illégale. Il a limité l’accès des eaux à seulement 7 palangriers français de 55 mètres qui disposent d’un quota annuel de 6 000 tonnes, largement inférieur à la ressource estimée. Chaque bateau doit embarquer un observateur. Le suivi scientifique de la légine est assuré par le Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN).

Sur ces bases assainies, une deuxième évolution est en cours, conduite dans le cadre du programme Orcasav par l’Ifremer, le MNHN et le CNRS, ainsi que par les armateurs et le fabricant Le Drezen. La technique de pêche actuelle, la palangre, présente deux inconvénients. Les mammifères marins viennent se servir sur les hameçons, consommant 40% des captures. De plus, ces hameçons blessent les oiseaux qui sont attirés par les appâts. Le programme vise à la mise au point de grandes nasses qui mettraient les appâts et les poissons à l’abri des prédateurs et qui favoriseraient la qualité des débarquements.

Pêche à la légine

Le projet Optipêche : trier sur le fond, pas sur le pont.

Les aspects environnementaux ont été abordés par une réduction des impacts physiques sur les fonds marins par la mise au point d’engins plus légers tels que : un panneau commercial économe en carburant mis sur le marché par la société Morgère, un nouveau concept de panneau de fond à très faible impact , baptisé panneau « Jumper ». Des kits sélectifs ont également été proposés pour réduire les captures accessoires. Les aspects économiques, en particulier liés à la consommation de carburant, ont été abordés par des propositions permettant de réduire la traînée hydrodynamique des trains de pêche : actions sur la forme du chalut, les matériaux le constituant, sur la taille des mailles dans certaines parties, éventuellement sur la disposition des mailles (mailles tournées à 90° par exemple). Les effets de ces multiples options ont été évalués par simulation numérique. Toutes ces actions visant à diminuer la traînée ont pour conséquence une diminution du besoin de force d’appui du bourrelet sur le fond et ont donc permis d’alléger les bourrelets. Une collaboration avec le CRPMEM Bretagne a permis d’appliquer concrètement ces options d’optimisation à l’échelle de la flottille des chalutiers de fond bretons.

NB : Le projet EFFICHALUT est dans la lignée de ces expérimentations sur les chaluts de Manche/Mer du Nord.

Déversé sur le pont du bateau, le contenu du chalut fait l’objet d’un tri qui élimine les espèces sans valeur commerciale et les poissons inférieurs à la taille réglementaire. Autant de produits morts qui, rejetés à l’eau, nourriront les prédateurs.

Le programme Optipêche promotionné par le Pôle Mer Bretagne veut réduire ces prises accessoires. Il s’agit d’installer à l’avant des navires des sondeurs multifaisceaux capables de détecter les espèces et de donner des indications sur la nature des fonds. Des capteurs électroniques permettront aussi de bien guider le chalut pour réduire sa traînée sur les fonds et s’en tenir à un toucher très léger. L’engin serait équipé d’un appareil acoustique répulsif pour les mammifères marins.

Le Pôle mer développe aussi le projet ITIS qui veut favoriser une pêche ciblée. Son premier volet, ACSYS, vise à mettre au point des moyens de détection permettant d’identifier et de caractériser les bancs pour améliorer la sélectivité. Le deuxième volet, SQUAL, entend concevoir des chaluts exerçant moins de pression sur les poissons, ce qui améliorera leur qualité. Il prévoit également d’améliorer les nasses à poisson et les casiers à langoustine.

Tri Langoustines - Photo : Aglia

Carburant : réduire la facture et la pollution

Les techniques passives (casier, filet maillant, palangre) sont économes en carburant car elles ne sollicitent pas directement la puissance motrice. On ne peut pas affirmer qu’elles sont plus économes (en termes de litres consommés par Kg pêchés) car cela est bien sûr lié au rendement de capture. En termes économiques, ces techniques peuvent être plus avantageuses surtout parce que les espèces capturées sont plus nobles (donc plus chères), les apports plus faibles et la qualité meilleure ; en conséquence, c’est la part du carburant dans le compte d’exploitation qui est souvent plus faible que pour le chalut, mais la consommation, elle, est souvent au moins équivalente.

Par contre, le chalut a besoin de cette puissance car il doit être traîné sur le fond à une vitesse de l’ordre de 3 à 4 nœuds le plus souvent. Dans ce métier, la consommation moyenne est de un à deux litres de fioul par kilo de poisson capturé. Plusieurs armements ont renoncé au chalut pour la technique de la senne danoise, mutation coûteuse mais qui permet de diviser par deux la consommation, tout en améliorant la qualité des poissons. Elle ne permet cependant pas de capturer toutes les espèces.

Le Pôle Mer Bretagne a labellisé le projet Grand Largue qui vise aussi à pêcher à l’économie. C’est le nom d’une vieille unité en bois de 16 mètres, modèle typique du chalutier artisan, qui a été refondu à Saint-Malo. Porté par la société Avel Vor Technologie, le projet va permettre de tester une propulsion mixte, avec en appoint du moteur deux voiles portées par deux mâts de 13 mètres, l’un à l’avant, l’autre à l’arrière. Les 90 m² de toile seront déployés à partir d’un ordinateur de bord. Ils donneront leur effet maximal pendant les trajets, avec 40 % d’économie espérés.

Parallèlement, le programme Effichalut testera des modifications dans la conception du chalut et des engins associés, pour réduire la résistance à l’eau et donc la consommation de carburant.

Engins de pêche - Source IFREMER